Si Karim Ziani est aujourd'hui l'un des joueurs les plus doués et les
plus demandés en France, il le doit à son talent incommensurable, mais
aussi et surtout à l'abnégation de son père, Rabah, dont les sacrifices
et le suivi assidu du parcours de son fils depuis son jeune âge ont
permis au meneur de jeu de Sochaux de percer et de réussir, jusqu'à
maintenant, une belle carrière professionnelle.
Lorsque nous interrogeons Ziani sur le secret de son attachement
indéfectible à l'Algérie, il nous répond en nous montrant du doigt son
père qui, depuis qu'il était enfant, l'emmenait chaque été passer des
vacances à Béjaïa dont les Ziani sont originaires. Cela l'a amené à
découvrir et aimer l'Algérie et a semé en lui un sentiment patriotique
croissant. Bien qu'étant de mère française, son éducation est purement
algérienne du fait du divorce précoce de ses parents et de la relation
particulière qui le liait à son père. C'était son guide, son confident,
son conseiller. «Mon père a toujours été tout pour moi. Enfant, il m'a
inculqué des mœurs algériennes, comme de prononcer 'bismillah' avant de
commencer à manger et 'el hamdoulillah' après avoir fini de manger; de
ne pas boire, de ne pas céder aux vices... Ce sont des préceptes ancrés
en moi grâce à mon père», nous a-t-il révélé dans une discussion avec
lui de près de sept heures.
Les souvenirs de Béjaïa toujours vivaces
Lorsque Ziani parle de l'Algérie, on croirait qu'il y a vécu des
années. Cependant, il n'y passait que les vacances annuelles, des
moments qu'il qualifie de mémorables et privilégiés. Son grand-père
paternel, ancien moudjahid, a également contribué à nourrir en lui le
sentiment patriotique. «Il me narrait souvent ses aventures dans les
maquis et les montagnes de Kabylie en compagnie de ma grand-mère. C'est
un authentique moudjahid qui a combattu le colonialisme et cela me rend
fier d'appartenir à la famille Ziani», se rappelle-t-il. Cette relation
particulière avec son grand-père a été renforcée à l'occasion d'un
souvenir traumatisant de son enfance. Les deux étaient présents, en
compagnie de sa sœur jumelle, à l'aérogare de l'aéroport international
Houari-Boumediène d'Alger lors de l'attentat à l'explosif de l'été
1992, s'apprêtant à embarquer pour Paris après des vacances passées à
Béjaïa. Ce jour-là, le grand-père a serré très fort contre lui les deux
enfants, qui n'avaient que dix ans et qui sont restés longtemps
traumatisés par ce drame. D'ailleurs, Karim Ziani était tellement
choqué qu'il n'est revenu en Algérie que plusieurs années plus tard
«En écoutant Kassamen, je me sens transporté dans un autre monde»
Karim Ziani avait fait un break avec l'Algérie, mais les souvenirs du
bled ne quittaient pas son esprit. «L'Algérie, c'est des odeurs
particulières, celle du sol, de la végétation, de la mer... Croyez-moi,
ce sont des odeurs que je ne trouve nulle part ailleurs. De même,
l'ambiance en Algérie est très spécifique. J'ai toujours été étonné et
subjugué de voir les Algériens parler entre eux avec des grands gestes,
des éclats de voix, souvent s'énerver, puis se calmer comme si de rien
n'était. Ce sont des particularités de l'Algérie qui m'ont toujours
marqué. C'était donc avec une immense joie que je suis revenu en
Algérie avec mon équipe, Troyes, pour y disputer un match amical contre
la sélection algérienne.» C'est à l'occasion de ce match que Karim
découvre de près le stade du 5-Juillet et son public. C'était aussi la
première fois qu'il entendait le public entonner Kassamen, l'hymne
national que son père lui avait appris dès son jeune âge. «Il y a
parfois des sentiments indicibles, indescriptibles. Il en est ainsi de
mon sentiment en portant le maillot national alors que Kassamen est
entonné par tout le public. En l'écoutant, je me sens transporté dans
un autre monde. Je suis à ce moment-là très fier et mes pensées vont
alors vers mon père que j'ai vu parfois pleurer pour l'Algérie.»
Sa petite taille a failli briser sa carrière
Rabah Ziani se rappelle très bien des débuts de son fils Karim. Des
débuts qui n'ont pas été faciles, loin s'en faut, se souvient-il : «Je
savais qu'il avait un potentiel, mais son inscription à un grand centre
de formation se heurtait à un grand problème : sa morphologie. Il était
petit de taille, ce qui amenait beaucoup de formateurs à qui je l'avais
proposé à lui prédire l'échec. Cependant, j'ai continué de croire en
ses possibilités et en sa capacité de percer un jour. Après son
intégration au centre de formation du Racing de Paris, il a progressé
dans tous les domaines et a récolté plusieurs titres individuels :
buteur du Mondial des poussins, plusieurs fois meilleur joueur dans de
nombreux tournois.» Karim se rappelle de cette période et de la
pugnacité de son père à lui faire réussir une carrière de footballeur,
en dépit du manque d'intérêt de plusieurs techniciens : «Je ne pourrais
jamais oublier les sacrifices qu'il a consentis pour ma réussite. Il
m'accompagnait quotidiennement aux entraînements et ne ratait aucun de
mes matches, à tel point qu'à l'occasion de nos stages ou déplacements
hors de Paris, il se déplaçait pour me voir jouer et dormait dans sa
voiture, faute d'avoir les moyens de se payer une chambre d'hôtel. Il
me faisait la critique de chacune de mes prestations, me prodiguait des
conseils... Cela m'amène à me dire toujours au fond de moi que mon père
est un homme extraordinaire et que je n'arriverai jamais à lui rendre
le centuple de ce qu'il a fait pour moi.»
Il avait affronté le MCA en 1994 et épaté Zenir
Après s'être distingué dans les petites catégories du Racing de Paris,
Karim Ziani est passé au centre de formation de Troyes. En 1994, il
avait participé à un tournoi international en France auquel avaient
participé les cadets du MC Alger, entraînés à l'époque par Abdelouahab
Zenir. En dépit de l'élimination de Troyes en demi-finales par
Montpellier, il a été élu meilleur joueur du tournoi. Après la finale,
qui avait vu Montpellier l'emporter aux dépens du MCA, Zenir a félicité
Rabah Ziani pour le trophée individuel remporté par son fils et lui a
assuré que Karim est une perle qui peut aller très loin s'il est bien
suivi.
Professionnel à 17 ans
Les performances de Ziani dans les jeunes catégories a vite fait
d'attirer l'attention des recruteurs. Lens et Nantes se faisaient
insistants pour l'enrôler. Cela a amené le président de Troyes de lui
faire signer un contrat professionnel de cinq ans alors qu'il était âgé
de 17 ans seulement. Son entraîneur, Alain Perrin, le faisait
incorporer dans les matches de Ligue 1 alors que le joueur n'avait pas
encore bouclé ses 18 ans. Il a même été aligné en Coupe de l'UEFA à
laquelle Troyes avait participé. Cela lui a valu l'intérêt croissant
des médias français qui ont multiplié les entretiens avec le joueur et
les reportages sur son ascension fulgurante, lui prédisant déjà un
avenir au sein de sélections françaises. Cependant, dans un reportage
diffusé sur Infosport en 2001, il allait surprendre les observateurs en
affirmant vouloir défendre les couleurs de la sélection algérienne.
Les médias français surpris de son choix de l'Algérie
En vérité, le reporter de Infosport voulait rendre service à Ziani en
lui arrachant une déclaration où il affirmerait sa disponibilité à la
sélection française des -19, mais son étonnement a été grand en
l'entendant faire sans ambiguïté le choix de l'Algérie. «En disant ces
mots, j'avais une pensée pour toute ma famille, et particulièrement mon
père qui, je le savais, rêvait que je joue pour l'Algérie.» Rabah Ziani
avait ressenti une émotion particulière en écoutant le vœu de son fils
dans le reportage en question : «Toute l'éducation que j'ai prodiguée à
Karim avait comme fondement qu'il puisse un jour jouer pour l'Algérie
et je connaissais son attachement au pays, mais le fait de l'entendre
le dire à la télévision française m'a ému. J'ai été emporté par la joie
et je me suis dit ce jour-là que même s'il ne serait jamais convoqué en
sélection algérienne, j'étais fier de mon fils.»
Empêché d'aller à Sienne, il explose à Lorient
La percée de Ziani attire les convoitises de plusieurs clubs, comme
Saint-Etienne et Bordeaux qui voulaient le recruter à tout prix. Troyes
a opposé un niet catégorique, voulant qu'il honore son contrat avec le
club. Cela a beaucoup affecté l'international algérien qui voulait
changer de club. Ayant reçu une proposition de Sienne, club de la Serie
A italienne, il a demandé à être transféré, mais la direction de Troyes
a persisté dans son refus. Frustré de ne pas pouvoir tracer son chemin
vers les sommets, il se met en conflit avec la direction de son club et
fait preuve d'un manque de motivation à l'entraînement et durant les
matches. Cela a amené les Troyens à accepter une proposition du FC
Lorient. Certes, c'était un club de deuxième division et les conditions
financières étaient moindres que celles auxquelles il aurait pu
prétendre dans un autre club, mais l'essentiel pour lui était de
quitter Troyes, un club où il se sentait à l'étroit. Lorient va lui
permettre de se métamorphoser pour redevenir le redoutable joueur qu'il
était à Troyes. Après une première saison encourageante, il garde la
tête sur les épaules et continue pour une deuxième saison avec, au
bout, l'accession en Ligue 1 et le titre de meilleur joueur de Ligue 2,
auxquels il faut ajouter le Ballon d'Or El Heddaf - Le Buteur de
meilleur footballeur algérien de la saison 2005-2006.
Passé à Sochaux au début de la présente saison alors qu'il était
convoité par plusieurs clubs de Ligue 1, il confirme son talent et
s'impose parmi l'élite française. Auteur de 8 buts et de 5 passes
décisives alors qu'il reste encore deux journées de championnat, il est
devenu le poumon de l'équipe. D'ailleurs, notre visite au stade Bonal
de Sochaux mercredi dernier, à l'occasion du match Sochaux-Monaco, nous
a permis de constater sa grande popularité parmi les supporters, à tel
point que le principal sujet de conversation des supporters depuis
quelques jours, outre la finale de la Coupe de France qui aura lieu
aujourd'hui, est de savoir si Ziani restera ou non au sein du club la
saison prochaine. Même Plessis, le président du club, fait du maintien
de Ziani au sein du club sa priorité de l'après-finale de la Coupe de
France.
Une finale en présence de plusieurs recruteurs
Croulant sous les sollicitations, Karim Ziani n'exclut pas de rester à
Sochaux, à la seule condition que le club décroche une place pour une
participation à une compétition européenne, la Ligue des champions de
préférence. Occupant la cinquième place à deux points du troisième,
Sochaux peut encore rêver d'Europe. Cela dit, l'international algérien
étudiera toutes les propositions. Dans tous les cas de figure, il fera
le choix de la raison, à savoir celui d'un club qui lui permettra de
jouer régulièrement, de progresser et de décrocher d'autres trophées.
En attendant, il ambitionne de remporter ce soir le premier trophée
majeur de sa carrière en disputant la finale de la Coupe de France face
à l'Olympique de Marseille sous le regards de millions de
téléspectateurs... et de dizaines de superviseurs et de recruteurs.
Ziani harcelé pour les billets de la finale
Karim Ziani et son père Rabah sont harcelés, depuis quelques jours, par
des proches et des connaissances qui les sollicitent pour des billets
d'entrée au stade de France afin de suivre la finale de la Coupe de
France. Le joueur ne peut pas répondre à toutes les sollicitations. «Je
suis issu d'une cité populaire à Paris, ce qui fait que je connais
beaucoup de gens. Je ne pourrais jamais contenter tout le monde»,
regrette-t-il. Son père fait également l'objet de sollicitations de la
famille éloignée, des connaissances et même d'amis d'Algérie.
D'ailleurs, son téléphone portable n'arrête pas de sonner depuis une
quinzaine de jours.
900 euros de billets pour ses amis
Afin de ne pas froisser ses amis, Ziani a pris le parti d'acheter des
billets de sa poche et de les leur offrir. «En tant que joueur d'un des
deux clubs finalistes, j'ai droit à 10 invitations pour la finale. A
qui les offrir ? A mon père ? A mes oncles ? A mes amis ? A mes voisins
d'enfance de Paris ? C'était un dilemme. Alors, j'ai acheté des billets
pour les leur offrir. Je ne veux vexer personne et je ne veux surtout
pas qu'on croit que j'ai changé du fait de mon statut de star.
J'essayerai de contenter le maximum, mais je ne pourrais jamais
contenter tout le monde», nous a-t-il affirmé.
Concentration loin de sa petite famille
En nous recevant chez lui à Sochaux, Karim Ziani était tout seul. Il
nous a expliqué qu'il avait envoyé son épouse et sa fille Lina à Paris
afin qu'il puisse s'isoler et se concentrer pleinement sur la finale.
«Ma fille n'a que quelques mois et elle pleure souvent la nuit, ce qui
perturbe mon sommeil. Avant la finale, je préfère me mettre bien dans
le bain psychologiquement», explique-t-il.
Il a préparé l'emblème national au cas où...
Confiant en la possibilité de remporter la Coupe de France, Karim Ziani
a même pris la précaution de préparer un drapeau national afin de
l'exhiber à la tribune présidentielle dans le cas où il y monterait
pour recevoir le trophée. Ce serait une grande fierté pour lui, surtout
qu'il serrera la main au président de la République française.
Une photo avec la Coupe d'Algérie en 1988
Bien que répétant souvent qu'il supporte la JS Kabylie et le MO Béjaïa,
Karim Ziani a une photo particulière dans son album. C'est celle prise
en 1988, alors qu'il n'avait que 6 ans, avec la Coupe d'Algérie
remportée cette année-là par l'USM Alger. Son père étant un supporter
de l'USMA, il avait fait prendre son fils en photo avec son frère et sa
mère à Soustara.
La Coupe visiterait Bachir à Barbès
En cas de succès lors de la finale, Karim Ziani a promis d'emmener la
Coupe à Barbès, carrefour des Algériens à Paris, et de la dédier à
Bachir, grand ami de son père et propriétaire d'un restaurant que de
nombreuses personnalités sportives algériennes fréquentent lors de
leurs passages dans la capitale française, notamment Rafik Saïfi,
Mohamed Raouraoua et Saïd Allik.
Son maillot très demandé avant la finale
Alors que des milliers de supporters sochaliens prévoient le
déplacement au stade de France pour la finale de la Coupe de France
contre Marseille, ce soir, les ventes des maillots des joueurs ont
connu une hausse significative la semaine dernière. Le maillot le plus
demandé est celui de Karim Ziani que beaucoup de supporters veulent
arborer dans les tribunes. D'ailleurs, dans la boutique officielle du
club, les vendeuses demandent automatiquement aux clients : «Vous
voulez celui de Ziani bien sûr !»
Une cinquantaine de matches disputés cette saison
Karim Ziani nous a affirmé qu'il a disputé cette saison une
cinquantaine de matches, soit un record pour lui en une seule saison.
Etant un élément clé de l'équipe, il a joué presque tous les matches de
Ligue 1, n'en ratant que deux, l'un pour blessure et l'autre à cause
d'une suspension. Il faudrait aussi y ajouter les matches de Coupe de
France, de Coupe de la Ligue et les rencontres avec la sélection
nationale. Tout cela sans compter les matches amicaux.
Comme un président de la République à Sochaux
Nous savions que Karim Ziani est très populaire en Algérie et à
Sochaux, mais nous étions loin de penser que sa popularité au sein du
club et parmi les supporters de la région était de cette ampleur. En
effet, à notre arrivée au stade Bonal, mercredi dernier, avant le match
Sochaux-Monaco, nous avons été reçus par plusieurs responsables du club
qui ont été très affables avec nous et qui ne cessaient de répéter que
les invités de Karim Ziani étaient leurs invités. D'ailleurs, le
président du club, Jean-Claude Plessis, a tenu à nous placer dans la
tribune présidentielle, parmi les familles des joueurs, les anciennes
gloires du club et les responsables de Peugeot, propriétaires du club.
Tout cela pour dire que Ziani est considéré comme un président de la
République à Sochaux.
Son portrait géant à l'entrée du stade
A l'entrée du stade Bonal, un portrait géant attire l'attention. C'est
celui de Karim Ziani en pleine action avec le maillot de Sochaux.
Devenu le meneur de l'équipe dès les premières journées, éclipsant les
vedettes locales, il a conquis le cœur des supporters. D'ailleurs,
mercredi dernier, il s'est également distingué en étant l'homme du
match et en offrant le but de la victoire, à quelques minutes de la fin
du match.
Le Ballon d'Or fait fureur à Sochaux
Le Ballon d'Or que Ziani s'est vu remettre le 28 décembre dernier par
El Heddaf et Le Buteur, était présent au stade Bonal mercredi dernier.
A la fin du match, et alors que Ziani était occupé avec les tests
antidopage, ses coéquipiers de Sochaux et les dirigeants du clubs se
sont relayés pour prendre des photos avec le trophée qu'ils ont trouvé
beau et n'ayant rien à envier au Ballon d'Or de France-Football. Même
le président Jean-Claude Plessis l'a brandi en l'air en s'écriant : «Je
m'entraîne à brandir la Coupe de France !»